Yan Pei Ming

Yan Pei Ming, né en 1960 à Shanghai, a grandi pendant la grande révolution culturelle maoïste prolétarienne et a travaillé comme peintre de propagande sous le régime maoïste. Plus tard, il fait partie du premier groupe d’artistes à fuir la Chine en 1980. Avec de grandes attentes, il arrive en France pour étudier les Beaux-Arts et obtient un diplôme de l’Ecole des Beaux Arts de Dijon. Ce changement géographique, culturel et artistique a eu un impact considérable sur son travail. L’artiste est connu pour utiliser un pinceau long de la taille d’un balai pour créer ses oeuvres monumentales, combinant le noir et blanc et le rouge plus rarement, rappelant les couleurs traditionnelles de l’art chinois.

SA DECONSTRUCTION DE LA PROPAGANDE

Ancien peintre officiel du régime, Yan Pei Ming, dès 1987, met en perspective ses années passées en Chine et son profond dégoût pour son dirigeant Mao. 

Il s’inscrit dans une tradition « européenne » du portrait tout en y révélant les codes de l’art de la propagande chinoise : des dimensions monumentales, des couleurs fortes (noir, gris, blanc et rouge). Il rompt véritablement avec sa pratique de portraitiste officiel par « le geste » : ses œuvres sont peintes dans la fulgurance d’une gestualité très physique et tendent vers l’abstraction. Ce qui est passionnant dans son travail, c’est sa mise en perspective de la représentation du père avec celle du Grand Timonier. Il crée ici une grande ambivalence de sens entre la figure emblématique du père politique, idole de l’inconscient collectif du peuple chinois, et celle de son père génétique qu’il qualifie « d’étranger ». Il semble opérer une assimilation entre les deux en représentant son père selon un modèle unique : l’homme le plus puissant, l’homme le plus têtu, l’homme le plus sage…

SA VISION DU POUVOIR

Depuis 2017, Yan Pei Ming travaille sur une série intitulée “Jeux de pouvoir”, que l’artiste complète chaque année. Selon lui : “C’est un exercice provisoire. Cette série est la constatation d’une époque donnée, dont je représente les figures qui détiennent un pouvoir, détention forcément éphémère. Un jour, “Jeux de pouvoir” comprendra peut-être 300 portraits… qu’on ne reconnaîtra pas forcément. Combien de personnes illustres sont-elles tombées dans l’oubli ? Qui se souvient encore du président qui a précédé Charles de Gaulle ? C’est pareil pour les artistes. Victor Hugo reste, mais combien d’écrivains oubliés pour un Hugo à l’oeuvre incontournable?”

SA QUETE HUMANISTE

« Plus j’avance, plus je me sens libre, plus j’ai envie d’exprimer un sentiment général d’humanité ».

L’exposition « l’homme qui pleure », au Musée des Beaux-Arts de Dijon, en octobre 2019, explore les émotions et la révolte ressenties par l’artiste face à la brutalité du monde et sa douleur face aux drames intimes et familiaux. L’artiste à genoux accueille le visiteur (2012), tête baissée, semblant demander pardon au monde qui s’écroule ainsi qu’à ses proches. Avec ses portraits de femmes voilées, sous les yeux ouverts de l’Oncle aveugle mort (2019), il interroge le monde sur l’enfermement sociétal et physique. Son obsession de la mort se révèle ensuite avec ses autoportraits en quatre saisons (2006) représentant la jeunesse, l’âge adulte, le gisant mort et la vanité (le crâne). Et la présentation des « pleurant », suite d’aquarelles d’après les 82 pleurants des cénotaphes des ducs de Bourgogne. Enfin, l’exposition rend hommage à sa défunte mère (2018) et à ses deux amis Xavier Douroux et Fabian Stech, récemment disparus.

SON ATTACHEMENT A LA CULTURE FRANCAISE

Lors de son séjour à la Villa Médicis, de 1993 à 1994, Yan Pei Ming représente « Les cent huit brigands ». il s’inspire d’un roman épique chinois très populaire « Au bord de l’eau », qui retrace la révolte de 108 brigands contre la corruption du pouvoir. « C’est un peu l’équivalent des ” Trois Mousquetaires » d’Alexandre Dumas en France. Je le connais par cœur. C’est une histoire passionnante, universelle : les personnages sont des archétypes qui reflètent l’étendue de la complexité de l’âme humaine. Mes 108 brigands se basent sur des personnes que j’ai croisées ».

SA RENCONTRE AVEC GUSTAVE COURBET

Yan Pei Ming découvre Courbet lors de ses études à Shanghai
« Tout le monde connaissait Gustave Courbet en Chine. Il était avant tout montré dans les revues artistiques comme un artiste révolutionnaire. Son image était très liée à celle de la Commune de Paris, mais je l’ai découvert véritablement en arrivant en France. J’ai été très impressionné par ses grands formats, commeL’Atelier du peintre et Un enterrement à Ornans, qui étaient alors exposés au musée du Louvre ; j’avais l’impression qu’on pouvait rentrer physiquement dans la peinture. C’est encore plus frappant dansL’Hallali du cerf, où les chiens apparaissent presque à taille réelle et se révèlent d’une vivacité incroyable ! Courbet donne à voir toutes les possibilités picturales qu’offre la peinture. »

A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet, en 2019, le Petit Palais à Paris, après l’exposition du Musée Courbet à Ornans, a présenté un face à face entre Yan Pei Ming et le maître qui montre combien il reste une référence pour les artistes d’aujourd’hui. L’exposition Yan Pei-Ming face à Courbet s’attache à traduire les multiples connivences artistiques entre ces deux peintres à quelque six générations d’écart. Point commun biographique tout d’abord : sans argent, moyen ni soutient critique, ils partent à la conquête de Paris. Un courage qui paye et qui les placera tous les deux comme des artistes reconnus. Point commun dans le choix des sujets « classiques » : des portraits, des nus, des paysages et des animaux. Chaque sujet mettant en lumière une démarche commune où l’histoire personnelle de chacun est largement évoquée. Point commun technique :  l’épaisseur de la matière de Gustave Courbet trouve un écho dans la brutalité gestuelle de Yan Pei Ming, favorisant le ressenti émotionnel. En réinterprétant les œuvres du grand maître, Yan Pei Ming amorce un questionnement vis-à-vis de la peinture classique tout en lui rendant hommage.

SA VISION DE LA PANDEMIE

L’artiste a dévoilé, en 2020, au Musée Unterlinden de Colmar, en France, un tableau sur le thème du coronavirus. Cette oeuvre s’inspire directement du retable d’issenheim, exécuté au début du XVIème siècle alors qu’une autre pandémie faisait rage, l’égotisme, ou “feu de Saint-Antoine”. Yan Pei Ming y est représenté en fossoyeur avec une tenue de protection et un masque chirurgical. Une oeuvre exécutée pour garder la mémoire de l’épidémie, selon le peintre : “dans 20, 30 ou 50 ans, le public aura peut-être oublié ce qui s’est passé. Cette toile est comme un arrêt sur image pour l’éternité”. Quand on demande à Yan Pei Ming s’il reste de la place pour l’espoir, il répond “La nuit n’est pas permanente. Le soleil vient toujours un jour ou l’autre. On reverra le jour”. Son oeuvre “Pandémie” ne sera pas vendue. C’est une question de décence pour lui qui ne s’imagine pas “se faire de l’argent sur le dos de ceux qui sont morts”.

“Je m’intéresse à ce caractère invisible, absent de l’homme dans son comportement, au fil des contextes, des circonstances et des événements, à l’humanité qui lui échappe : l’homme invisible dans son humanité. Je me suis intéressé à l’homme en général. Mon travail peut être considéré comme une sorte de portrait universel. Ce que je peins, c’est en fait l’humanité. Cependant, plus je crée des têtes , moins je comprends ces gens…”