Yue Minjun
Né en 1962 à Daqing, Yue Minjun vit et travaille à Pékin. Il est considéré aujourd’hui comme une icône de l’art contemporain chinois. Il a étudié la peinture à l’Université Normale de Hebei et a obtenu son diplôme en 1989, date à laquelle la Chine a été secouée par les manifestations d’étudiants et leur répression sur la Place Tiananmen. „Mon humeur a changé à ce moment-là“ a-t-il déclaré. „J’étais déprimé. J’ai réalisé l’écart entre la réalité et l’idéal, et j’ai voulu créer ma propre définition artistique, par laquelle il pourrait y avoir une rencontre avec la vie sociale et l’environnement social“. On perçoit dans son travail l’influence Ses tableaux parlent de souffrance, qu’il s’agisse de souffrance personnelle ou de souffrance de la culture contemporaine. On perçoit dans son travail l’influence d’un autre artiste de sa génération, décédé en 2017, Geng Jianyi, qui avait aussi „exploré“ le rire dans ses créations. Nous aborderons son travail dans un prochain post.
SON RIRE COMME IDENTITE
Yue Minjun n’est pas toujours à l’aise avec la façon dont sont travail est analysé. L’énigme envoûtante de ce visage rougeâtre (le sien) peint inlassablement, avec un grand rire et les yeux fermés par la tension hilarante, est sujette à une multitude d’interprétations dans le monde de l’art. Les critiques chinois l’ont identifié très tôt comme un membre de l’école du „réalisme cynique“, ce que réfute l’artiste. Ses autoportraits ont été décrits par le théoricien Li Xianting comme « une réaction auto-ironique au vide spirituel et à la folie de la Chine moderne“.N’oublions pas que Yue Minjun appartient à la génération de ces artistes meurtris par la répression militaire de la Place Tiananmen et il ne cesse depuis de dénoncer les dérives de la société chinoise. Contrairement à son compatriote Ai Weiwei, Yue Minjun n’utilise pas l’arme de la provocation mais celle de la dérision et de l’ironie.
Le rire de Yue Minjun nous apparaît comme une parodie flagrante des affiches de propagande pendant la période de la Révolution Culturelle qui montraient des gens heureux en train de rire, le contraire de la réalité de l’époque. Mais ici l’artiste manie aussi la parodie de lui-même puisqu’il s’agit d’autoportraits, ce qui lui donne une plus grande marge de liberté d’expression : „Je ne me moque de personne d’autre, car une fois que vous vous moquez des autres, vous avez des ennuis…“
Le rire de Yue Minjun peut nous apparaître aussi comme une volonté de rester optimiste dans une période où les Chinois désespéraient de pouvoir un jour se libérer des carcans du Parti communiste. Le rire, substitut de la parole libre, lui a permis d’éviter la censure médiatique, les dirigeants chinois n’ayant pas compris son message.
SES BLESSURES PERSONNELLES
Yue Minjun a peint cette toile „Sky“ en 1997, suite au décès de son père dans un accident de voiture, en quelque sorte pour partager son deuil. Cette toile reprend tous les codes esthétiques et symboliques de l’artiste. Le ciel bleu (élude la gravité du sujet), le rire (révèle l’impuissance), les corps tordus (symbolisant la peine et la folie), les oies (volatiles majestueux dans la tradition chinoise qui volent vers l’ouest lors d’un décès).
SA CRITIQUE DU POUVOIR
Yue Minjun a détourné de nombreuses toiles empruntées à la culture classique chinoise ou aux affiches de propagandes sous la dictature de Mao. Après les évènements de 1989, les artistes restés en Chine et qui sont très sévèrement épiés et contrôlés, on du trouver des „stratégies“ pour contourner la censure. Ainsi, Yue Minjun représentera inlassablement des chinois à son image, éternellement heureux… L’artiste délivre aussi ce message aux autorités chinoises : „La vitesse, la compétition, synonymes de déséquilibre, engendrent un sentiment d’abandon et d’isolement chez l’individu, mauvais présage pour l’évolution d’une société dans son ensemble“.
Avec „The sun“ réalisé en 2000, Yue Minjun reprend les codes de la propagande maoïste : le soleil levant, et à la place de la figure du Grand Timonier, celui de l’artiste démultiplié, évoquant le visage des paysans, ouvriers et soldats affichant des sourires „de propagande maoïste“. Mais ici, le rire n’est pas synonyme d’épanouissement serein auquel voudrait faire croire le régime chinois, mais plutôt un rire forcé, dément. Clairement une provocation envers les autorités.
Avec „Water“ et „Memories n°4“, toiles peintes en 1992, Yue Minjun adresse un message à son peuple et aux dirigeants : le pouvoir chinois est partout, même dans votre tête. Dans „Water“ Mao nage souriant dans la tête du personnage et dans „Memories n°4“ le système politique et culturel occupe toutes les pensées du portrait.
La toile d’origine, „The Founding Ceremony of the Nation“ de Dong Xiwen est une toile qui commémore la prise de pouvoir de Mao et du Parti Communiste Chinois. Cette toile a constamment été modifié, depuis sa création, car tout les protagonistes présents derrière Mao qui se sont ensuite détournés du pouvoir on été effacé de la toile, tout comme cela se faisait en URSS. Yue Minjun peint alors cette toile sans aucun protagonistes, sauf la foule. Toujours là, toujours présente même lorsque les têtes ont disparu. L’artiste nous dévoile ici ses interrogations sur la société chinoise et les pratiques du Parti communiste Chinois.
Avec l’installation sculpturale „Chinese Contemporary Warriors“, Yue Minjun détourne la célèbre armée de terre cuite de Xi’ian, enterrée avec le premier Empereur de Qin. Inconsciemment heureux dans leur uniformité, les citoyens dociles de cette armée absurde observent les évènements dans la Chine contemporaine, semblant „ne rien voir, n’entendre aucun mal, ne rien dire de mal“.
Le grand tableau „Maze Series : Looking for Paradise – Mao Xinglan“ est un tableau atypique figurant un labyrinthe signifiant à quelle point la société chinoise est compliqué et comment le peuple s’y est perdu. Il s’agit d’un grand tableau illustratif de la culture et de l’histoire chinoise. Le mur fait penser à la Grande Muraille de Chine, et les couleurs rouge et jaune et les nombreuses citations picturales de propagande partout à la surface font référence à l’époque sous Mao : des jeunes en uniforme portant le Petit Livre rouge de Mao, des jeunes s’engageant en gymnastique, danse, chant et théâtre, représentations idylliques du travail collectif des paysans à la campagne et dans l’industrie active. Une caractéristique remarquable est l’homme aux jumelles tournées vers le spectateur, car jusqu’où peut-on voir quand on est dans un labyrinthe avec des murs tout autour ? Où est le paradis ?
En 1997, Yue Minjun peint „Everybody connects to everybody“. Dans la société collectiviste chinoise l’individu ne peut exprimer ses propres opinions : „dans la civilisation chinoise traditionnelle, l’individu n’est pas important“.
SON INTERET POUR LA PEINTURE CLASSIQUE OCCIDENTALE
De par sa formation classique, Yue Minjun, s’est précocement intéressé à la peinture classique occidentale. De cet intérêt vont naître plusieurs toiles reprenant de grands classiques. A ne pas interpréter comme un hommage, il me semble, mais plutôt comme une nouvelle vision, une nouvelle interprétation de ces oeuvres que l’artiste va se réaproprier.
„The exécution“, sa peinture la plus célèbre et la plus cher (4,1 millions d’euros) est directement inspirée par la répression du mouvement démocratique de la Place Tiananmen en 1989. Dans cette toile, inspiré par La Mort de l’Empereur Maximilien de Mexico d’Édouard Manet, le lien avec le système chinois est évident. Ici l’art est le témoin des horreurs de l’humanité emprunte de violences et d’injustices. Les condamnés, impuissants, rient pour défier les fusils imaginaires de leurs bourreaux, un formidable pied-de-nez à la Chine qui détient le record du monde du nombre de condamnés à la peine capitale. Yue Minjun, à l’abris de par sa notoriété, reste prudent. En effet, lorsque le tableau a été vendu en 1995 à un collectionneur anonyme, par une galerie de Hong-Kong, une des conditions de la vente imposait de ne pas montrer l’oeuvre en public, sous peine de mettre l’artiste en danger. Immédiatement Yue Minjun a souhaité prendre ses distances quant à la thématique de l’oeuvre, craignant surement pour sa vie. Il déclara alors à CNN que le mur n’était pas celui de la Cité Interdite et qu’il ne fallait pas relier cette oeuvre à un évènement en Chine… Nous ne sommes pas dupes… Avec cette vente chez Sotheby’s Yue Minjun s’est trouvé „plébiscité“ par le vieux continent et est devenu „intouchable“ par les autorités et clairement une exception sur le marché de l’art chinois. Le „sentiment“ ici de cette oeuvre semble ici universel „la joie est un sentiment acceptable par tout le monde. Bien-sûr, lorsque l’on regarde mes tableaux assez longtemps, on sent que ce sont des expressions de tristesse ou de douleur“.
Tout comme „The Execution“, avec „The massacre at Chios“ Yue Minjun peint un peuple à son image (le peuple chinois) qui reprend sa liberté, comme Eugène Delacroix l’avait peint à son époque (1824).
Dans l’œuvre , la référence à la peinture classique occidentale est encore plus évidente. Yue Minjun a scrupuleusement recopié „La Mort de Marat“ de David, mais en appliquant les codes de l’imagerie officielle de la propagande chinoise qui fait disparaitre les personnages gênants de l’histoire politique du pays. Encore une provocation vis-à-vis des autorités.
„Je voudrais que l’on se souvienne de moi dans l’histoire de l’art comme d’un artiste qui a créé une icône“